The Doors - People are strange
Dernier jour complet de ce voyage, une dernière promenade à vélo le long de la Kamogawa, pour changer.
Encore des mues de cigales, regroupées en grappes cette fois-ci.
Un pêcheur sur-équipé. Dans la plupart des cas, la première chose que fera un japonais avant de se lancer dans une activité sera de s'acheter la panoplie complète afin de ne jamais être pris au dépourvu. Au moins c'est bon pour le commerce.
Tandis qu'une équipe est occupée à l'entretien de la rive est, sur l'autre berge, un groupe de retraités campe avec ombrelles et appareils photos géants en attendant que les oiseaux postés au bord de l'eau (hérons et autres) se saisissent d'un poisson dans les remous créés par la petite marche.
Un autel en parpaing avec une statuette de Bouddha étêtée.
Alors que je traversais les arcades de Kawaramachi à la recherche d'une paire de sandales de paille à ma taille (j'ai quand même dû faire plus de six magasins avant de trouver), deux policiers que je dépasse à vélo me demandent de m'arrêter. Je précise que je poussais mon vélo en marchant, car il est interdit de circuler autrement qu'à pied dans cette zone souvent très fréquentée. Bref j'obtempère, ils me demandent alors si je comprends le japonais ce à quoi je réponds "oui un peu". Grossière erreur de ma part, il aurait je pense suffit que je joue le touriste qui ne parle qu'anglais pour qu'ils me foutent la paix (car pour les avoir entendu plus tard tenter de me parler en anglais, je pense qu'ils se seraient découragés assez vite). Ne comprenant pas trop ce qu'ils me veulent, je réponds du mieux possible à leur question, "Je suis français." "Non je ne suis pas étudiant étranger venu étudier au Japon", "Je suis venu ici comme touriste" (ce qu'ils semblent trouver éminemment louche), "Si je comprends le japonais c'est parce que j'étudie la langue en France"....
Ils me demandent alors s'ils peuvent procéder à une vérification de l'immatriculation du vélo (car certains vélos japonais disposent d'une plaque, c'est le cas du mien). Je commence alors à comprendre de quoi il retourne. Un étranger sur un vélo c'est louche, il l'a peut-être volé. En plus sur un vélo immatriculé (donc appartenant à un résident) alors qu'il se prétend touriste, c'est doublement suspect. Vérification au QG par radio. Ils me demandent alors à qui appartient le vélo "A M. Shôji" (le propriétaire de la maison dans laquelle je loge, trois vélos étaient laissés à la disposition des voyageurs dans la remise). Je parviens à capter le mot qui tue, que celui qui avait fait l'appel radio glisse à son collègue "chigau" (littéralement "c'est différent" bref ça ne colle pas). Et merde, je sens que j'ai affaire à deux consciencieux (le contraire aurait été surprenant) qui ne vont pas me lâcher de sitôt, résolus qu'ils sont à tenter de percer le mystère du gaijin à vélo.
S'ensuit une série de questions visant à vérifier si je ne leur raconte pas de salades. "Qui est ce M Shôji par rapport à vous ?". "Un ami ?" "Non, pas vraiment, c'est une personne qui m'héberge pour la semaine". Tentative désespérée d'expliquer en japonais le principe du couchsurfing. Voyant qu'ils semblent trouver mes explications peu convaincantes, je finis par lâcher l'affaire et le ranger dans la catégorie des amis. Nouveau grand moment de solitude quand il s'agit d'expliquer que je ne loge pas chez-lui, mais dans une maison qu'il prête aux voyageurs de passage. "Et il fait quoi dans la vie ce M. Shôji ?", "C'est bien lui qui vous a donné ce vélo ?", "Où se trouve son domicile ?" "A quel numéro de téléphone peut-on le joindre ?" (aucune idée, c'est Marieke qui s'était chargée de le contacter). "Vous ne connaissez pas le numéro de téléphone de votre ami ?" "Pouvez-vous nous montrer votre passeport ?" (heureusement ça je l'avais sur moi).
Les deux génies examinent le passeport, me regardent en biais et s'échangent quelques mots, puis me demande pour combien de temps je suis au Japon, "Je rentre demain en France", en jetant un oeil au passeport, je constate qu'ils sont en train de regarder la page de mon précédent voyage l'automne passé. Je précise que pour un ressortissant de l'union européenne, il n'est pas nécessaire de demander un visa pour se rendre au Japon, pour peu qu'on y vienne dépenser son pognon (et pas voler le travail des Japonais) et qu'on y reste trois mois au maximum. Un dépassement de ce délai est passible d'une condamnation pour présence illégale sur le sol japonais (j'ignore le terme exact) et d'un renvoi au pays accompagné d'une interdiction de territoire. Les deux ont sans doute pensé avoir fait bonne pioche en mettant la main sur un vilain étranger ayant dépassé la date limite de retour de six bons mois, jusqu'à ce que je tourne la page. Je leur demande alors s'il y a un problème avec le vélo, s'il a été signalé comme volé ? "Vous n'avez pas à le savoir !"
Je les laisse recopier laborieusement la moindre ligne du passeport sur leur calepin pendant quinze bonnes minutes. Je prends mon mal en patience et en profite pour les prendre discrètement en photo. J'émets à voix haute l'hypothèse que le vélo puisse appartenir à un membre de la famille de Shôji (je ne réaliserai que bien plus tard que Shôji devait en réalité être son prénom et pas son nom de famille).
Au bout d'un moment, faute de ne pouvoir faire grand-chose d'autre, ils me laissent repartir, l'un d'eux me dit de faire attention. Après coup, je suis presque certain que ce vélo n'avait pas été signalé volé auquel cas j'aurais certainement fini au poste. En tous les cas, ça fout un peu en boule de réaliser qu'on vient de se faire contrôler au faciès (même quand c'est fait poliment).
Après ce petit contretemps, je continue ma promenade vers le nord.
Courte pause sur un passage à gué.
Balade au hasard dans la partie nord-est de la ville. Je trouve le temple Sekizan zen-in.
J'oblique vers la montagne pour un bout de grimpette. Je dois vite rebrousser chemin afin de renter à temps pour le car de nuit qui doit m'emmener à Tôkyô.
Je prends tout de même le temps d'aller me gaver une dernière fois de sushis. Devant le restaurant, un jeune type un peu illuminé, rasé comme un moine et habillé en tenue de sport fait des mouvements au ralenti et se fige parfois pendant plusieurs minutes avant de recommencer.
Une dernière série de photos de nuit le long de la Komogawa.